Crédits : Scarlett F.

Nyx venait tout juste de se réveiller. L’agitation de l’extérieur lui subodorait que la journée était déjà bien entamée. Elle avait passé la nuit dans un hôtel miteux, blottie dans les bras d’un homme, un exe, dont elle ignorait l’identité. Il n’eût aucune discussion entre eux. Les échanges de regard et de salive avaient remplacé le poids des mots. Parfois, le silence et le langage du corps se distinguent des autres remèdes face à une solitude bien ancrée, un vide si intense qu’on souhaite le combler par tous les moyens. C’était là sa plus grande faiblesse. Nyx se rhabilla et quitta la chambre sans se retourner.

Elle déambula de longues minutes dans les ruelles du district 4 en direction de son appartement. Cette fois-ci, elle n’avait pas pris sa bécane de peur qu’on la lui dérobe. Nyx n’avait encore rien avalé. Elle aperçut à quelques pas d’ici les néons colorés d’une enseigne de fast-food. C’était l’occasion de dépenser ses crédits durement gagnés et d’assouvir sa faim. A peine elle eût le temps de franchir la porte qu’une petite bande de potes, trois mâles exes sensiblement âgés autour de la vingtaine, lui firent signe au fond de la salle.

« Eh mais c'est pas notre skydoll qui fait son entrée ? Viens t’assoir avec nous Nyx ! »

La danseuse n’avait nullement besoin de se targuer d’une réputation, sa popularité n’était plus à démontrer dans le district. Les générations se confondaient parmi ses habitués du club. Elle esquissa un sourire et s’avança élégamment vers leur table.

« Salut les gars ! Alors comme ça c’est ici que vous dépensez tous vos crédits ? Et mes pourboires alors ? », s’exclama-t-elle en faisant mine d’être offensée.

Ils se mirent tous les quatre à gouailler sur tout et rien, des paroles à la fois légères et indolentes écartées de toute opinion politique et de la pénibilité de la vie. Leur discussion s’apparentait davantage à un jeu de répartie et de mauvaises vannes, bien loin des discours péteux et éloquents des hauts-districts. C’était agréable et combien satisfaisant de ne pas jouer un rôle et d’être complètement soi-même. Elle ne craignait pas ces gaillards qu’elle avait pris le temps de connaître en trois ans de service à la barre. Les habitants du district 4 n’étaient pas tous mauvais, ils en étaient bien la preuve.

Après avoir commandée un burger reconstitué, Nyx étancha sa soif en sirotant son cocktail tandis que les jeunes exes continuaient de déblatérer en ricanant. A cet instant précis, rien d’autres n’avait d’importance. Elle profitait simplement du moment présent dans une candeur jouissive. Alors que Nyx examinait le lieu du coin de l’œil, son regard se porta sur l’une des serveuses, une jeune femme blonde, dont la maladresse évidente semblait la décontenancer et crisper le patron du restaurant. Elle n'avait ni cicatrices ni maladies de peau apparentes, on pouvait deviner l'humain dans toute sa banalité. Nyx n’avait rien contre les humains, elle en était elle-même une autrefois. Mais ce passé lointain, qui errait un peu plus chaque jour vers la pénombre de ses souvenirs, elle voulait l’oublier, tout comme la douleur qui en ressortait.

La serveuse s’avança hâtivement, assiettes en main, vers la table adjacente lorsqu'un des clients lui fit un croche-pied. La blonde se rétama au sol, faisant virevolter les plats en l’air. Les assiettes s’éclatèrent sur le lino avant même qu’elle n’eût le temps de les rattraper. Les clients se mirent à glousser comme des dindes, tous excepté une poignée d’entre eux. Nyx, qui était restée silencieuse, se leva brusquement de sa chaise et se tourna vers le coupable avec un air vicieux et menaçant.

« Tu te crois malin ? Si t’as la jambe qui te démange ça peut s’arranger, trésor. »

L’homme grogna faiblement un « ça va, si on peut plus rigoler… » et se contenta de cette maigre satisfaction.
Nyx tendit sa main à la jeune fille pour l’aider à se relever.

« Au moins, ça te fera de la vaisselle en moins à laver. Rien de cassé ? »