« Boss, j’ai un problème. L’un des gars avec qui je me suis fritée il y a trois mois est revenu... Et il a ramené ses petits copains avec lui. Désolée boss, je sais que vous êtes occupée, mais là je suis dans une impasse... J’ai besoin de vous. »

Ero Prod. Les nuits se suivent mais ne se ressemblent pas. Ce soir-là, j’étais en salle privée avec l’un de mes gros clients. Une pointe Exe en matière de drogue et de trafic d’armes. Geronimo, de son surnom, appréciait toujours de passer quelques heures en bonne compagnie. Je tenais à lui souhaiter la bienvenue et pourquoi pas glaner une ou deux informations sur son séjour au District 3 où il lui arrivait de se faufiler pour revendre sa came. Il nous arrivait de faire affaire, mais la plupart du temps, c’était un concurrent. J’aimais entretenir de bons rapports avec leaders de gangs adverses. Ce genre de relation entre adversaires comme les grands sportifs des Districts 1 et 2 qui passaient parfois sur les écrans géants pour faire baver la jeunesse Exe du ghetto.

Notre entretien se trouva écourté par l’un des « agents » de sécurité qui vint me murmurer à l’oreille qu’une des filles voulait me voir. Je laissai donc mon invité en la compagnie des deux strip-teaseuses qui avaient déjà commencé leur travail auprès de lui et je lui souhaitai un bon séjour parmi nous. Je masquais mon agacement à laisser filer une si belle occasion. A peine sortie de la salle privée, Nyx, une de mes filles, se dressa devant moi. Un parfum de miel et de pivoine envahit mes narines. Je vis bien qu’il y avait quelque chose qui clochait. La terreur sincère dans ses yeux.

Nyx, c’était la parfaite fille. Séduisante, du charisme et un peu de caractère, le corps bien équilibré et un regard renversant. C’était le genre de femme qui ne se laisse pas aller, qui entretient son corps mais qui risquait un jour de quitter le nid pour s’élever dans la société. Professionnelle, elle faisait bien son travail. Des clients importants aimaient avoir ses services. Toutefois, elle avait eu des problèmes récemment. En tant que patronne, j’avais eu vent de cette affaire qui s’était réglée par quelques bleus. Et voilà qu’il était revenu. « J’ai besoin de vous » ces mots sonnaient comme un cri d’alerte. Un signal lancé par son œil rougeoyant dans la nuit.

« Je vois. Tu as bien fait de venir me trouver, Nyx. Personne ne touche à mes filles. Je vais lui apprendre à ne jamais faire deux fois la même erreur. »

Je posai une main sur sa joue pour la rassurer tout en captant son regard. Je protégeais mes employées. Personne ne venait déranger mon organisation. Ero Prod avait une réputation et ce sale type n’allait pas l’entacher, qu’il soit un bourge du District 1 ou qu’il soit un merdeux de Miraculé.

« Mène-moi à lui. »

Discrètement, nous rejoignîmes la salle principale où l’homme et ses deux acolytes furetaient, visiblement énervés. Dans l’agitation permanente du hangar, il n’était pas difficile de repérer le costume rayé qui valait plus cher que certaines vies ici. Je remarquai l’oeil balafré et je fis part de ma réflexion à Nyx :

«  Tu lui as laissé un joli souvenir ! Je vais aller lui parler. Si ça tourne mal, contacte ce numéro et dis que tu appelles de ma part. Je te ferai signe. »

Je lui laissai une cartouche numérique sur laquelle j’inscrivis un numéro avec la mention « Duke ». Puis, je m’avançai d’une démarche féline et assurée, me faufilant entre les clients et les filles pour rejoindre le trio mal intentionné avec un sourire enjôleur sur mes lèvres blanchies par le vitiligo.

« Bonsoir messieurs ! Puis-je vous offrir un rafraîchissement ? A moins que vous ne vouliez passer de suite au divertissement ? »

« Tu veux me rendre service, la décolorée ? Trouve-moi cette petite salope de Nyx, j’ai deux mots à lui dire. »

Je conservai mon calme et mon sourire enjôleur devant le ton impérieux que se permettait de prendre ce sale type.

« Nyx est actuellement avec un client. Je peux vous proposer une autre de mes filles en contrepartie ? En revanche, si vous voulez que ces mignons restent, ils devront consommer égalem... »

« Arrête de jouer avec moi ! Tu sais pas qui je suis ?! Ramène-moi Nyx ou je te fais couper ta petite langue ! »

La situation m’apparut aussitôt impossible à désamorcer. Discrètement, j’envoyai le signal à Nyx, passant ma main dans mes cheveux comme elle avait l’habitude de le faire. J’espérais qu’elle comprendrait le message. Il me fallait gagner du temps pour que Duke ramène ses fesses. J’osai poser un index accusateur sur le costume de l’homme, au niveau de son coeur. Mon ton restait toujours calme et avenant. Les deux gorilles s’impatientaient et le visage du bourge se déformait de colère. J’avais appris à ne jamais perdre contenance face à ce genre de type.

« Il va falloir changer de ton avec moi, mon chou. Ici, tu es chez moi. Je suis Megara Foxwell et si tu veux consommer, tu respectes mes lois. Ce serait dommage d'abîmer ce beau costume, non ? Tu veux voir Nyx ? Très bien. Je te propose un marché : tu redescends un peu et tu profites le temps qu’elle se libère, ou tu sors et tu l’attends dehors.»

Duke était arrivé et avait parfaitement exécuté son travail. Il avait désamorcé la situation sans faire de vagues, comme d’habitude. J’appréciais son professionnalisme et son goût du travail bien fait. Propre, discret quand il le faut mais aussi bruyant quand c’est nécessaire. Heureusement qu’on avait des mecs comme lui au District 4. Oui, il fallait avoir le luxe de se payer ses services, mais c’était le meilleur pour ce genre de mission.

Nous nous trouvions maintenant à l’arrière du hangar aux néons étincelants et Duke venait de terminer la première partie de son travail. Lorsqu’il s’en alla pour chercher à boire, je lui rappelai que les consommations étaient offertes pour lui. C’est ainsi que les affaires marchent ! Quelques gestes de marketing pour garder près de soi les partenaires les plus intéressants. Je me tournai vers les trois types salement amochés. Et le pire restait à venir. Je souris, amusée de la tournure que prenaient les événements. On entrait pas dans mon domaine pour tout foutre en l’air.

Nyx prit alors les choses en main. Sur le coup, j’en fus surprise, mais cela ne m’étonnait pas vraiment. Elle avait un caractère de battante, une vraie louve à qui il ne fallait pas chercher des noises. Et malheureusement pour lui, ce pauvre type lui avait causé plus d’un ennui. Je la laissai faire et m’adossai contre une chaise de bar qui traînait là. D’ici, je pouvais admirer la scène qui se jouait devant mes yeux. La demoiselle avait reprit du poil de la bête et semblait plus déterminée que jamais. Il ne me manquait qu’un bon cocktail pour accompagner cette soirée.

A mesure que l’homme évoquait sa situation de bourge du District 1, mes yeux s’illuminaient comme une vitrine un jour de fête. Lorsque Nyx se tourna vers moi, je sortis du silence et de l’ombre, la remerciant pour son travail. De ma démarche dangereusement féline, j’avançai pas après pas vers l’homme. Je voyais bien dans son regard qu’il avait peur. Il redoutait certainement la troisième vague qui viendrait lui briser définitivement les couilles. Ou l’achever peut-être ? Ce n’était pas mon intention. Je ne faisais jamais de mal à personne… Je souriais toujours. Je m’arrêtai lorsque je fus toute proche de lui et je me penchai en avant. Mes lèvres s’approchèrent de son visage dégoulinant de sueur mêlée au sang et je murmurai d’une voix suave, me délectant de chaque mot :

« Tu vas nous dire tout ce que tu sais, mon chou. Tout sur ce labo. Sur Yakin Nami et ses recherches. Et tu pourras peut-être repartir d’ici en entier. »

Je me redressai lentement et attendis la réponse de l’homme.

« Va crever sale chienne ! »

Le récalcitrant accompagna sa charmante remarque d’un crachat qui retomba à mes pieds. Dommage. Il avait fait le mauvais choix.

« Tant pis, je vais vraiment devoir t’arracher les yeux. Et comme je suis une chienne, je les ferai manger à tes petits toutous ! »

J’avais achevé ma dernière phrase d’un ton menaçant. Il connaissait mon nom et savait de quoi j’étais capable. Je n’avais pas quitté une seule seconde ses yeux brillants. Je tendis la main pour lui caresser la joue et jouer avec ses cils du bout de mes ongles.

« Alors ? Tu vas me raconter ta petite histoire ? »

Contre toute attente, je n’eus pas besoin de me salir les mains. Il parla. Et à mesure que les paroles quittaient ses lèvres, je jouais plus ou moins avec son visage crasseux.

« L’Aca… l’académie. Je finance une petite partie de la recherche fondamentale de l’Académie. Tout est protégé. Il y a les militaires, la brigade de l’Ordre, et tous les systèmes de sécurité les plus puissants. Je ne sais pas exactement ce qui se trame là-bas… Les recherches… sont faites pour élever l’humanité. C’est de là qu’ils donnent les directives au reste de la Fondation : quelles orientations prendront les expériences. Les gens comme vous ne peuvent pas comprendre ce qu’on essaie de faire pour relever le niveau de l’humanité. Vous êtes inférieurs, c’est pour votre bien que ... »

Clac ! La gifle partit plus vite que prévu. Je continuai de lui sourire et de le regarder dans les yeux. Sa joue était rouge et marquée par les griffures laissées par mes ongles. Ce n’était qu’un avertissement. J’étais de bonne humeur ce soir-là, il était chanceux.

« Oups, navrée mon chou, c’est parti tout seul. Sûrement parce que je suis d’un niveau trop inférieur pour me contrôler ! Nyx, ma chérie, je te le laisse. J'ai l'impression que notre ami ne nous dit pas tout ce qu'il sait et il a l'air de préférer se confier à toi ! »

Je fis signe à Duke que j’en avais terminé pour le moment avec notre nouvel ami et qu’il faudrait probablement qu’il vienne terminer le travail. Je m’approchai des deux gorilles de notre prisonnier et leurs fis une seule proposition :

« Travaillez pour moi ou Duke s’occupera de vos fesses, mes mignons. Je compte jusqu’à dix pour avoir une réponse. Un. Deux... »

Nous maîtrisions la situation. Les mots dégoulinaient de la bouche du sale type et nous récoltions ces précieuses informations avec avidité. Et puis tout dérapa. Il avait un émetteur. Nyx alla chercher Duke. Cinq gorilles pénétrèrent dans le Millénaire sans autre intention que de tout foutre en l’air. Le terrible nettoyeur fit place nette et écarta un par un les cafards qui avaient pénétré mes locaux. Je le regardais faire, satisfaite d’avoir un tel homme dans mon entourage plutôt que dans mes ennemis. Je désapprouvais d’un claquement de langue les dommages collatéraux qu’il infligeait aux tables, chaises et autres éléments de décor, sans pour autant le déranger dans sa besogne. Duke faisait un tabac. Les clients se massaient en cercle autour du combat pour l’admirer et pousser des exclamations. Les bagarres étaient monnaie courante au District 4 mais Duke valait la peine d’être regardé. L’ambiance gagna son apogée lorsqu’il fracassa le dernier intrus. Je claquai des doigts pour que mes employés remettent les chaises et tables en place, et Duke alla nettoyer les cadavres. Lorsqu’il s’excusa auprès de moi pour les dégâts, je lui répondis que c’était sans importance puisqu’il avait assuré le show.

Enfin, il fut temps de retrouver notre cher invité du D2. Tous les trois autour de lui, je me tenais pile en face de la chaise sur laquelle il était maintenu. Les bras croisés, je le dévisageais, un sourire aux lèvres.

« Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi, mon joli ? »

Duke avait clairement énoncé ce que nous comptions faire de lui. Il avait le choix entre la vie et la mort. Tous les hommes choisissent la vie, d’une manière ou d’une autre.

« Je sais comment entrer au District 2. Il y a des clés d’entrée pour la porte Sud. Mais vous aurez besoin de moi. Il y a une double reconnaissance faciale et digitale. Le sac de muscles a raison, je peux vous être utile ! Alors, ne me tuez pas ! »

Un grand sourire s’élargit sur mon visage. Parfait.

« Voilà une affaire bien réglée ! »

Je me tournai vers Nyx pour lui donner mes instructions, audibles seulement d’elle-même :

« Ma belle, récupère-moi ces clés d’entrée et fais ce que tu veux de ce pauvre mec. Attention, interdiction d’abîmer le minois et les dix doigts ! On va en avoir besoin. »

Puis, tandis que je m’éloignai, je clamai à voix haute :

« Nous allons avoir besoin d’un peu d’aide pour conclure notre affaire. Commencez sans moi, je n’en ai pas pour longtemps. »

Je leur fis un signe de la main sans prendre la peine de me retourner, puis je disparus dans l’ombre du mur. Trouver quelqu’un capable de reproduire le visage et le doigt de ce gros porc ne devrait pas poser trop de problème au D4.