Dans le milieu de la sécurité, une mutation au District 4 était analogue à une rétrogradation humiliante. Une absence totale de couverture sociale, pas de court-circuits de fonction pour les activités hors service et les seules augmentations que la direction se permettait d'octroyer se présentent sous la forme d'heures supplémentaires non rémunérées... Le seul avantage, si l'on pouvait encore le considérer comme tel était la prise en charge par l'Ordre des implants dits 'réparateurs' afin de prolonger la période de service de ses officiers. De ce point de vue, il n'y avait guère de différence entre un policier du District 4 et les employés esclaves des mega-corps abusant de leur pouvoir pour presser le moindre profit possible.
Et pourtant, en dépit de toutes ces caractéristiques il existait bel et bien quelques individus pour considérer un tel emploi. Pour beaucoup, il s'agissait là d'une opportunité inespérée quoique oppressante pour échapper à la violence et la sauvagerie locale, tandis que d'autres n'y voyaient qu'un moyen de vengeance, un bien pour un mal commis à leur encontre. Et puis il y avait une dernière catégorie, qui de par leur pédigré auraient pu viser bien haut mais ont choisi de se retrouver bien bas. Volontairement. Leurs raisons, quoiqu'étranges n'en restent pas moins simples ; les beaux quartier fréquentables ne peuvent se targuer d'offrir cette sensation de danger ou encore l'adrénaline d'une embuscade de vauriens désespérés. Le plaisir de la chassee, dans ce terrain hostile et imprévisible en font du quotidien des patrouilleurs un train de vie bien éloigné de la routine bureaucratique de leurs donneurs d'ordres.

C'est avec un coeur de prédateur que le jeune patrouilleur avait arpenté les ruelles sordides de son district favoris, non sans exprimer sa frustration quand à la tranquilité de ses récentes journées de service.  Une chose cependant avait retenu son attention durant sa ronde, chose qui désormait attendait patiemment dans une salle interrogatoire que le département de gestion des informations ne compile son dossier. Les yeux rivés sur son pad de service, la transmission soudaine des données du suspect ne fit que confirmer les soupçons du policier. Scarlet Lisbeth White, ancienne résidente du District 2 arpentant les rues du quatrième suite à un effondrement financier. Une histoire parmi tant d'autres dont l'officier voyait déjà le triste sort de ces jeunes filles enlevées au profit des réseaux de proxénétisme. Incrédule, Arzei se refusait à croire qu'une femme seule et démunie puisse ainsi survivre dans les méandres du vice et de la décadance la plus crue. Son intuition l'indiquait qu'une chose manquait, pour ainsi dire, au tableau.

Ouvrant alors la porte de la salle d'interrogation, l'officier Arzei Ryder fit mine de lire une dernière fois en diagonale le rapport avant de finalement s'adresser à l'intéresser. J'ai parcouru en vitesse votre dossier miss White, cracha-t-il en la regardant du coin de l'oeil. Vous êtes bien loin du second district... Et puis vingt-et-un ans, ce n'est pas un peu tard pour une fugue d'adolescente ? Vous avez beaucoup de chance que ce soit une patrouille qui vous ait trouvé plutôt que quelqu'un d'autre.
Ne lui laissant guère le temps de répondre, l'officier reprit de plus belle avec une simple phrase. Alors expliquez-moi, que faisiez vous seule dans les rues du quatrième district ?

Le regard fixé vers son interlocutrice vraisemblablement déboussolée, le jeune officier à la peau d'ébène se contenta de lui adresser une oreille attentive avant de finalement souffler une simple parole. Je vois. Exprima-t-il nonchalamment d'une voix douce mais grave, déclinant un calme presque mortifiant. Accompagnant sa réponse presque monosyllabique était un geste pesant mais précis de la main, duquel s'en échappait un micro projecteur. Le posant sur la table avec soin, Arzei se mit alors à se déplacer.

D'une démarche presque mécanique, ses pas le conduisirent près du mur opposé à son point d'origine, l'amenant précisément derrière la petite égarée. Posant alors ses mains sur les épaules blanchâtres de sa victime, il parla alors d'une voix plus rocailleuse mais lente. Je crois que l'on ne vous a pas très bien expliqué comment les choses se passent ici, alors je vais vous faire une faveur et vous éclairer un petit peu sur votre situation. Au fil de ses paroles, il pouvait sentir des doigts s'enfoncer peu à peu dans sa chair tendre et menue, tout en lui mettant toujours plus de poids pour lui communiquer l'impossibilité de tout échappatoire.

Son mouvement fut brusquement interrompu par l'activation du projecteur, la surprise sonore lui fit lâcher sa poigne inconsciemment mais ne déplaça guère ses mains pour autant. Des images apparurent soudainement du bureau, montrant une succession de photographies à valeur choquante de mendiants défigurés jonchant les rues, des femmes au teint blafards et sur-maquillés dans l'espoir de masquer des divers bleus et hématomes bordant leur visage, ou encore une file d'enfants pieds et poings liés entrant docilement par une porte gardée d'un homme dont l'expression de jubilation était à peine voilée...

Se rapprochant alors de nouveau, mais cette fois-ci avec bien plus d'insistance l'officier pouvait ressentir ses épis blonds lui chatouiller les joues. Son odeur était plus forte que ne laissait présager son apparence, mais en comparaison des amoncellement de crasse peuplant ce district elle n'en restait pas moins enivrante. Expirant avec lenteur, sa voix résonna dans l'oreille droite de la jeune blonde éberluée... Ici la seule loi existante, c'est celle du plus fort. Les autres n'ont que deux alternatives, ou bien ils se font dévorer entier. Ou bien... Ils se font protéger. Et alors d'une voix soudainement ferme et sèche il ajouta. Vous comprenez où je veux en venir mademoiselle White ?

Sa longue inspiration fut suivit d'un long soupir d'exaspération face au comportement peu coopératif de la jeune... détenue ? Passant une main dans ses cheveux ébouriffés, ses années passées à traiter avec la pègre du District 4 l'avaient habitué à toute sorte de règles et de non-dits implicites. Ce fait, se retrouver face à une étrangère des divers codes du district le déstabilisa plus qu'il ne voulait le reconnaître. Incrédule, il se demandait sérieusement comment elle avait pu échapper aux mailles de la crasse locale, qu'ils aient un badge ou non. Sa désinvolture n'aurait pas manqué d'attiser voir exciter même le plus réservé des résidents, et bien qu'elle ne soit guère vêtue de manière affriolante son être entier sentait une fraîcheur du monde d'en-haut suffisante pour agiter les rôdeurs à des kilomètres...

Très bien... je vais être on ne peut plus clair. Baisser la tête et te faire toute petite ne suffit pas, tu vas rencontrer des ordures qui en auront après ton joli petit minois.  Si tu n'as personne pour te te protéger...

Bougeant ses mains au rythme des paroles, jusque là fixés sur ses épaules traversèrent lentement sa clavicule pour tomber plus bas. Ses doigts l'effleuraient suffisamment pour entendre son cœur battre, tous deux séparés par une couche de tendresse sensuelle qu'il désirait ardemment triturer avec amusement. De son autre main, il caressa ses cheveux secs et emmêlés luisant dans la faible luminosité de la salle d'interrogation pour finalement les prendre en main et lui tirer la tête en arrière.
Croisant alors leur regard de nouveau, un sourire fendait le visage sinistre de l'agent de l'ordre, dévoilant par la même une rangée de dents d'un blanc éteint, mais brillant d'une satisfaction corrosive.

Alors. Qu'est-ce que tu comptes faire ?