District 2 – Entrepôt désaffecté

Quelques semaines auparavant, un certain incident était survenu au Millénaire. Nyx avait ferré un gros poisson du District 2, le genre qui avait bien secoué le nightclub et nous avait donné du fil à retordre. Nous en étions finalement venus à bout, d’une manière ou d’une autre, et quelques informations avaient filtré, nous permettant d’entrer en contact avec les bonnes personnes. De la patience, un soupçon de menaces et beaucoup de corruption avaient fait le reste. Il faut dire que j’ai le bras long, long jusqu’au District 2.

J’avais donné l’ordre à mon petit informaticien de chercher des informations sur tout ce qu’il se passait actuellement au District 2. Je devais avoir connaissance de tous les événements récents pour m’introduire plus facilement dans le District de mon enfance. Ce projet, je l’avais orchestré seule. Personne ne savait mes motivations ni où je voulais en venir. Si j’avais vaguement évoqué mes envies de vengeance, cela semblait toujours impossible. Comment atteindre le District 2 ? Comment retrouver la trace de ces parents dont je ne savais rien ? Il me fallait celui ou celle qui aurait accès à toutes ces informations pour mener à bien mon projet. Et enfin, je l’avais trouvé.

Milo Janssen. 19 ans. Génie de l’informatique qui faisait beaucoup parler de lui pour ses découvertes et son implication dans la Matrice. Idéal pour la pêche aux infos ! Le bonus dans tout ça ? Ses parents avaient contribué aux recherches sur les Exes. Ces chiens-là étaient d’une race qui se croyait supérieure mais ils n’étaient rien que des bâtards, comme nous tous ici-bas.

Ali, mon informaticien, m’avait donné tout ce que j’avais besoin de savoir : l’adresse de Janssen et comment contacter de gros bras assez subtils pour ne pas rayer la carrosserie de mon futur associé. Une belle somme d’argent m’avait permis de les encourager à donner le meilleur. Ils n’allaient pas tarder à m’apporter le paquet. Pour appâter Janssen, Ali lui avait envoyé le défi de hacker et retrouver la trace de terroristes médiatiques qui se font appeler « les Frères ». Des types qui luttent contre le système de la Matrice et la Fondation. Le défi devait être exécuté depuis un cybercafé du District 2. J’étais alors certaine que Janssen resterait enfermé jusqu’à ce qu’il soit parvenu à les débusquer. Toutefois, il fallait agir rapidement car c’était un petit génie, du genre à relever le défi et le réussir en quelques minutes. L’implant de caméra de l’un des gorilles m’apporta l’information qu’ils arrivaient dans l’entrepôt désaffecté que j’avais « loué » pour l’occasion.

Pénétrer dans le D2 n’avait pas été une chose aisée mais j’y étais parvenue. Et maintenant que j’étais là, j’espérais bien avoir les réponses à toutes mes questions. Après m’avoir livré mon précieux colis, mes nouveaux employés s’installèrent à différents endroits de l’immense pièce où ne se trouvait qu’un fauteuil en cuir, une table et une chaise. Sur la table, un vieil écran d’ordinateur ainsi qu’un clavier, une souris, et quelques composants informatiques. Milo Janssen était assis sur la chaise en face de moi, il était encore inconscient à cause des drogues qui lui avaient été administrées.

L’odeur de la cigarette que je fumais devant lui ne tarderait pas à lui chatouiller les narines. Il pourrait alors me voir l’observer en souriant, assise dans un fauteuil de cuir les jambes croisées et avec cet air insolent de celle qui maîtrise parfaitement la situation.

« Alors Milo Janssen, vas-tu pouvoir m’apporter enfin ce que je recherche ? »

Les bugs dans la Matrice, tu as fréquemment dû faire des nuits blanches pour corriger tes programmes. Négligeant ton hygiène de vie, tu es de ceux qui ont tendance à être peu à l'écoute de leur corps et peuvent passer des soirées sur une tâche précise en oubliant l'essentiel. Ta sœur t'a monté une tasse de café ainsi qu'une dizaine d'oranges, histoire que tu es de quoi de sustenter durant tes fonctions.

Enjambant les monceaux d'objets qui trônent dans ta chambre, elle achemine deux sucres contre ton poignet. Cependant, tu ne déconcentres pas pour autant, dans ta bulle plus que jamais.

- C'est le bazar ici !

Tu hausses les épaules.

Tant que la masse encombrante se trouve hors de ton champ de vision, elle n’existe alors plus. Dans ta famille, ce genre de comportement est encouragé. Vous prenez l'efficacité très au sérieux et les choses aussi triviales que le rangement sont proscrits.

- Tu as pris tes médocs ?

Cette fois, elle reste sans réponse. Tu es terriblement absent, adsorbé par ses pages de code qui n'attendent que ta compagnie jusqu'à ce qu'elles aient raison de ton sommeil.

Quand tu réveilles, à l'aube, les rayons du soleil froid filtrent à travers l’interstice des stores mécaniques de ta fenêtre et viennent se répandre en des flaques striées sur ton visage. Pour autant, ce n'est pas ton environnement mais bien la notification d'un message qui résonne dans ton encéphale.

TON CODAGE !!

Paniqué, tu vérifies si tu as bien enregistré tous les nouveaux algorithmes. La trace de ton clavier marque ton épiderme et trompe presque ton cerveau à te faire croire qu'une touche est restée coller dans le creux de ta joue. Cliquant dans tes dossiers spéciaux avec accès par l'administrateur du modem, tu constates rapidement que rien à bouger, tout est en place...

- Putain c'est quoi ce message. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a le don de t'interpeller. ... De la base 64 ? il ne te faut pas longtemps pour aller sur un site adéquat et traduire le message.

« les Frères » nom commun de jumeaux dizygotes qui parcourent la toile à travers des attaques contre la désorganisation des systèmes d'information. Connus médiatiquement par un public restreint, la Fondation n'a pas jugé utile d'ébruiter l'affaire outre mesure. Ainsi, toute personne déjà au courant de cette histoire ne pouvaient être que des gens de ton acabit.
L'opportunité d'éradiquer ce mal est à ta portée. Vérifiant l'identité du destinataire en quelques navigations de souris, tu découvres qu'il s'agit d'un certain Ali qui possède une petite notoriété.

Rictus gagnant ton minois, tu t'empresses de te diriger au cybercafé annoncé par l'auditeur du message. Sautant dans le premier tramway, le sang bouillonnant d'impatience sous ta peau et commences déjà à réfléchir à la solution de la première énigme qui était une photo prise en maxi zoom dans ledit bâtiment que tu t'apprêtais à rejoindre. Ce n'était pas difficile pour toi de déterminer sa localisation.

Arrivant à "l'arène informatique" tu branches ton pc sur secteur une fois que tu débusques une table un peu à l'écart. Ici, ce sont des établis en céramique blanc qui s'étalent sur plusieurs couloirs. La moquette bleue au sol ainsi que les néons de couleurs froids donnent un aspect rétro-punk au café et permettent une meilleure ergonomie aux utilisateurs. Te connectant au réseau local, le deuxième casse-tête arrive. Pffeuh un jeu d'enfant celui-là. Ton interlocuteur ne lâche pas l'affaire mais toi non plus. Tu te sais capable de rester éveillé jusqu'à ce que tu parviennes à trouver la solution.

Les différents paliers s'enchaînent et bientôt un serveur te propose un rafraîchissant que t'empresses t'accepter. Une limonade pétillante à l'orange, c'est tout ce qui te fait envie.     

***

Les yeux dans le brouillard, tu sens tes épaules se voûter légèrement. Tête en avant, les cheveux qui balayent la poussière du sol de béton et corps raide comme un piquet, tu n'arrives plus à t'orienter. Un effluve de fumée opaque vient s'harponner à tes narines et tu fronces le nez par réflexe de survie, peu accoutumé à cette odeur nauséabonde qui brûle les poumons.

Doucettement, alors qu'une voix féminine s'élève, tu lèves les yeux dans sa direction et commence d'ores et déjà à analyser la situation. La logique n'a pas l'air d'être son fort au vu de la question qu'elle te pose sans y apporter d'éléments supplémentaires. Attendait-elle que tu devines ce pour quoi tu avais été arraché à ton élément naturel ? Regard interrogatif, tu articules après t'être habitué à la situation.

- Eh bah, pas besoin de tergiverser, explique-toi, qu'est-ce que tu me veux ?

Tes paupières se plissent légèrement par la densité de lumière qui se focalise uniquement sur une dimension que représente ta chaise de bois à laquelle tu es enchaîné. Tu découvres partiellement ton ravisseur et devine des silhouettes autour de toi sans pourvoir pour autant identifié leur nombre. L'espace semble assez grand, du moins, c'est ce que tu supposes.

Air blasé, presque plus agacé par le manque d'efficacité de cette conversation que par les circonstances elles-même, tu expulses un petit souffle de tes lèvres.

Franchement barbant.

- Tu m'excuses hein, mais je n'ai pas beaucoup dormi. Je ne risque pas de répondre à tes attentes.

Ajoutes-tu méprisant, en oubliant déjà que pour passer d'un point A à un point B, il a bien fallu que tu sois inconscient. T'essayerais-tu à l'ironie ?