Nyx arriva au Millénaire. L’horloge holographique du quartier indiquait 22 heures, l’heure de commencer son service. Elle gara sa vieille bécane à l’arrière du nightclub, qu’elle recouvrit d’une grande bâche. Elle franchit le seuil de l’entrée principale, surplombée par ses néons colorés clignotants, en saluant les deux gorilles à l’entrée. Nyx a l’habitude de toujours pointer à l’heure à son travail, même si la ponctualité lui fait parfois cruellement défaut. Il s’agissait de ne pas fâcher la patronne et encore moins de la décevoir.

Elle se dirigea d’un pas nonchalant vers les coulisses de la scène, plus précisément vers sa loge, située au fond de la boîte de nuit. Les loges étaient réservées aux danseuses les plus émérites et populaires. Les effeuilleuses inexpérimentées devaient se satisfaire de simples vestiaires. Nyx ouvrit doucement la porte sur laquelle figurait son nom de scène : Skydoll.

Depuis sa violente altercation avec un client éméché qui avait tenté d’abuser d’elle il y a plusieurs mois, et qui s’est achevée par la suite en règlement de compte avec Megara Foxwell, la directrice des antres du plaisir, et un mercenaire connu et reconnu sous le nom de Duke, Nyx prenait toutes les précautions. Il était chose aisée de défigurer un seul homme à bras nus, ça l’était beaucoup moins en bande organisée.

Nyx s’installa devant sa coiffeuse où jonchaient une panoplie de maquillages et de fioritures pour ses spectacles. Ses costumes étaient pendus à un gigantesque dressing : un tableau grotesque de couleurs vives, de latex, de plumes de paon et de boas multicolores se dressait là. Des tenues plus incroyables et loufoques les unes que les autres destinées à combler tous les fantasmes de ces messieurs.
Vêtue uniquement de son long déshabillé soyeux en kimono et de ses sous-vêtements, la danseuse resta immobile, indécise face à cette palette de rôles à explorer. Quel masque allait-elle porter sur scène ce soir ?

Elle se grilla une slim insérée dans son fume-cigarette en jade, un cadeau modeste provenant de l’un de ses quelques clients néolibéraux privilégiés, lorsqu'elle entendit soudainement frapper à la porte. Trois coups donnés : c’était Liam, l’un des vigiles.

« Nyx? Y’a quelqu’un pour toi. »

« Tu peux le faire entrer, Liam. »

Liam acquiesça sans broncher avant d’ouvrir la porte, d’y faire entrer l’homme en question, puis resta au pas de la porte, à l’instar d’un chien de garde à l’affût du moindre élément perturbateur, pour s’assurer que rien n’arrive à la strip-teaseuse sans son consentement.

Sans perdre le sens des priorités, Nyx accueillit chaleureusement son invité, en lui tendant une coupe de champagne, d’une bouteille qu’elle venait fraîchement d’ouvrir.

« A qui ai-je l’honneur ? »


Lui dit-elle en esquissant un sourire curieux.

Nyx décrispa sa main de son col et soupira un instant. Elle l’écouta parler avec la plus grande attention, en essayant cette fois de faire preuve de patience. Elise Geller. Ce nom lui paraissait familier, pourtant elle n’arrivait pas à mettre un doigt dessus. Elle se rappelait de son enfance, de sa grande demeure dans les quartiers riches du district 2, et de sa nourrice lui interdisant de jouer dans le bureau de ses parents. Cette fameuse pièce impénétrable de la maison dont elle mourrait d’envie de découvrir les trésors cachés.

Elle s’était imaginée bien des scénarios derrière cette porte sombre. A la veille de ses 8 ans en l’an 41, Nyx réussit à pénétrer dans la pièce. Il n’y avait ici que des ordinateurs, des plans holographiques et une panoplie de prototypes d’implants inachevés. C’était bien sa veine, elle qui pensait vivre la plus incroyable des aventures du district, elle tomba nez à nez avec sa solitude et des corps mécaniques sans vie.

La petite Nyx se consola avec tout ce qu’elle trouvait : des vis, des puces électroniques, des circuits… Puis son attention se porta sur une photo en 3D encadrée sur le bureau en verre. Une étrange femme vêtue elle aussi d’une blouse blanche avait rejoint le couple Astral sur la photo. Nyx n’avait jamais vraiment su qui elle était jusqu’à présent. Se pourrait-il que cette Elise Geller soit l’inconnue de ses souvenirs d’il y a 15 ans ?

« Bref, je vous dis ça parce que ma très chère mère m’a un jour dit qu’elle avait une dette envers vos parents, une grosse dette, et que si vos parents n’ont pas eu la chance d’aller réclamer leur dû, peut-être que leur fille pourrait le faire. »

« Comment ça, une « dette » ? Ça fait une éternité que je n’ai pas vu mes parents. Je ne sais même pas s’ils sont encore en vie… Alors… si ta mère a la moindre information sur eux, si elle sait quelque chose sur leur disparition, il faut à tout prix que tu me le dises. »

Nyx avait le regard rempli d’espoir, masqué derrière un flot de larmes de tristesse qui perlèrent sur ses joues. C’était la première fois depuis plus d’une décennie, qu’elle ne s’était pas mise à pleurer, surtout devant quelqu’un et encore moins un inconnu. Elle essuya les perles humides de son visage et se grilla une autre de ses slims. La danseuse s’assit sur la table de sa coiffeuse. Elle épongea son chagrin derrière les traits d’un fragile sourire et une coupe de champagne, qu’elle but d’une traite.